05 décembre 2018, Passage Verdeau, Paris.
Vernissage de l’exposition Mutatis Mutandis de Claire Courdavault
« Morta, une Parque, une Atropos qui ne coupe pas le fil, trop lassée ou trop triste, de décider pour des humains qui se plaignent ou qui souffrent de la lourdeur du destin. Une sœur immortelle s’est changée pour un soir froid et à l’allure immuable en une diseuse de bonne aventure prenant la forme d’un miroir. Prométhéenne, elle offre le feu à celles et à ceux à qui elle prend la main, sous la forme d’un fil, qui parlera pour nos désirs de fins ou d’éternels. Elle nous tend ses doigts froids, aussi froids qu’une longue flamme qui courent sur nos corps et nous lie à sa volonté de nous rendre plus libres et conscients. En dialoguant sourdement par la gestuelle du verbe écrit, par la danse répétée des mouvements du corps qui veut se faire entendre quand il ne peut parler, en enroulant sur nous le fil consciemment choisi par on ne sait quoi de fou ou de conscient chez nous, elle libère un aspect rarement visité de notre esprit. C’est une contrée remplie de beauté, de rouge et de mystère, autant que d’or et de noir. Y demeurer est impossible et y passer ne laisse plus indifférent : elle tient en sa main l’univers entier, dénué de son illusion. Il peut bien tenter de reprendre ses formes aux couleurs connues, la vision de ce feu demeure intacte dans l’esprit, et résonnera lors des heures où de nouveau, elle devra irrémédiablement couper le fil à notre place ».
Laure Saffroy-Lepesqueur
« Comment-peut-on-tisser-sans-fils ? C’est la question énigmatique que vous pose la Baba Yaga qui vous entraine par la main dans l’exposition de Claire Courdavault. Un véritable cabinet de curiosité au détour d’un passage parisien, où se mêlent gravures, sculptures et peintures… Travaillées comme de la dentelle, et parfois jusqu’à l’os, elles vous emmènent dans la célébration d’une vie païenne et romantique, pleine de noirceur et de fertilité. A recommander ! »
Jean-Jacques Valette
« Cette nouvelle performance de l’avatar Lanassa orchestre pour chaque participant un contact personnel, radical et direct avec les œuvres de l’exposition. Cette médiation entre le visiteur et les œuvres, au départ invitation, se fait intercession lorsque Lanassa mène le visiteur par un fil et lui enjoint de regarder. Cette gestuelle impérative souligne la double nature des œuvres, autoritaires dans leur façon de faire sens et pourtant libres dans leur possibilité d’être interprétées et absorbées dans le vécu même du participant. La cérémonie, qui revêt un caractère initiatique, laisse au visiteur un fil enroulé autour de sa main, signe le reliant aux autres initiés, ainsi qu’à un monde esquissé par l’ensemble des œuvres de l’exposition, celui de la sorcellerie comme quête de pouvoir et de prise sur le destin, qu’il soit individuel ou collectif. »
Kimberley Harthoorn
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Les paroles de l’échange sont construites au moyen de mots dispersés sur le corps :
pointés par l’index, ils forment des phrases.
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– (B) Oui.
La reconnaissance.
L’étoffe qui couvre les yeux est baissée, la main de B saisie franchement et guidée à l’étage où la performance prend place.
Veux-tu un fil ?
Que choisis-tu ?
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Rouge : Messagère d’Eros
Noir : Vie/mort
Or : Divination
Les mots sont montrés avec la pointe d’une paire de ciseau.
B comprend qu’elle doit couper le fil qui la relie encore à la pelote de laine.
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Fin de la performance, l’étoffe est remontée sur le masque, les yeux sont voilés.
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Si le monde est une étoffe que l’on doit parer de broderies …
Comment tisser sans fil ?
La performance est d’abord pensée comme une action de commissariat : il s’agit de permettre de voir le travail de Claire Courdavault, pour qui les trois pouvoirs constituent une clef de lecture efficace. Lanassa donne à choisir un de ces pouvoirs puis offre de se laisser guider par lui pour découvrir les images de l’artiste plasticienne. La performance-commissariat est ainsi conçue comme la confection d’un discours, prisme personnalisé pour lire l’exposition « Mutatis Mutandis » (litt. « Ce qui devait être changé ayant été changé« ).
Mais il s’agit aussi d’impliquer le corps : convier une présence physique avec la poignée de main, premier contact franc d’accueil et de lien. Poursuivre cette présence par le mode de communication : les mots, désignés par les index, nouent des significations qui n’apparaissent qu’au terme du chemin. Il faut garder son attention soutenue sur la peau pour les déchiffrer. Et sans le guide qui les met en ordre, il est impossible de les comprendre.
Or, ce guide ne se met à parler qu’à la condition d’une rencontre. Il faut saisir sa main, il faut accepter d’être touché : physiquement et métaphoriquement. Il faut se livrer si l’on souhaite voir. Il faut s’impliquer si l’on veut participer. Et, alors, construire… en n’oubliant pas de laisser du fil pour les suivant.e.s.
« Comment tisser sans fil » est une proposition iconique de rencontre. Sous le masque de l’araignée confectionné par Claire Courdavault, Lanassa tend ses mains aux vivants pour qu’ils se saisissent d’eux-mêmes. Ses interrogations profondes, sur la vie collective et la construction de sens, n’ont pas de réponse orale à recueillir. Les mots inscrits dans le carnet ne lui sont pas destinés, ce n’est pas elle qui coupe le fil noué. Avec beaucoup de retenue, elle ne reçoit ni n’agit mais guide, crée un espace d’action et de transformation pour celles et ceux qu’elle accueille.
Claire Parizel
Crédit photos : Anaïs Novembre
Costume : Claire Courdavault
Remerciements : Le Cabinet des Curieux de Thierry Ruby,
Laure Saffroy-Lepesqueur, Jean-Jacques Valette,
Kimberley Harthoorn